Combien de mots pour être « fluent »?

Cette question, un véritable serpent de mer sur les forums de langues, est l’un des éléments du succès du marketing actuel des produits langues étrangères sur le web avec son concept de « minimalist learning » (être fluent en apprenant un nombre de vocabulaires restreint, mais le plus utilisé).

Très souvent, en abordant une nouvelle langue, on se pose la question du vocabulaire réellement nécessaire à connaître pour un usage courant comme dans l’expression « parler couramment ».

Penchons-nous tout d’abord sur notre propre langue, le français, avec cet article de l’encyclopédie incomplète. La conclusion évidente est qu’il n’est pas nécessaire de viser un chiffre élevé de mots pour utiliser une langue étrangère, cette règle n’étant déjà pas applicable à la sienne. Attention à ne pas confondre non plus le « fluent » d’une langue étrangère avec le niveau d’un « natif » (nous sommes dans le cas d’une seconde langue non maternelle ni paternelle). La confusion, idiote parfois pour des raisons purement marketing, découragera beaucoup d’apprenants français en mettant la barre trop haute avec ses « maîtriser la langue » ou « parler comme un natif« , syndrome d’un mal français d’un perfectionnisme imaginaire et d’un modèle éducatif type couperet et sanction dans sa recherche d’absolu.

Une remarque également, l’obsession de la fluency mais que pour l’anglais… On utilise d’ailleurs le mot anglais en toutes circonstances, mais on est plus cool ou indifférent pour les autres langues où se débrouiller semble déjà très bien. Cette crispation est en grande partie due à une angoisse existentielle de parents ou d’étudiants qui ne voient la vie que dans la bulle anglo-saxonne (dont Trumpf et le Brexit en montrent le recul dans le monde en plus de la démographie). Bilingue anglais, fluent… sont d’abord utilisés comme appâts marketing pour vendre du rêve avec ses fluent in 3 months, votre enfant bilingue, promotion assurée avec l’anglais…

Or, il s’agit de pouvoir communiquer correctement, tout simplement ! Combien de personnes auront d’ailleurs réellement besoin d’être « bilingue » ?

En fait la plupart des apprenants pourront être à l’aise avec un niveau plus accessible que celui agité comme un chiffon rouge avec un B2 dans de très nombreux cas et il semble préférable de les mener sur le chemin de la continuité lente dans l’enthousiasme pour bien apprendre que celui du stress de l’intensif et de l’inabordable sans une longue immersion.

L’idée de « fluency » reste très vague. Si le choix de niveaux de divers classements est le plus souvent utilisé comme B2 et C1/C2 pour le cadre européen, devenir fluent est un long chemin où l’on ne devient pas un beau matin « anglais courant » ni en ayant réussi un diplôme (de proficiency en fait…). La première raison est la définition même de la fluency. Un concept très flou et extensible où chacun y va de son opinion (à commencer par nous !) On pourrait l’imaginer dans un premier temps comme la pratique de converser sans « réfléchir » ou sans arrêts et blocages (idée de fluidité). En pratique chacun détermine son degré de fluency en fonctions de ses besoins (vous pourriez être rapidement fluent like a native sur ce créneau comme serveur dans un restaurant en y travaillant la langue en immersion à l’étranger…)

Nous voyons trois principales approches (appellations de notre invention…) avec la general/junior/basic fluency qui permet à un voyageur de communiquer en toutes circonstances de la vie courante, la upper fluency qui est la capacité (par exemple) de converser en réunion avec ou d’écrire des textes pour des natifs sur la plupart des sujets et le like a native fluency (utile surtout pour le métier d’espionnage ;-). ​Ajoutons enfin le fluency pro, connaissance étendue des termes d’un métier en remarquant qu’un Français ne connait pas tous les mots de ces métiers dans la plupart des cas (what is a « mortaiseuse »?)​

Like a native…

Être fluent, ce sont aussi les chemins de traverses et variants, des trucs complètement zappés par l’académisme ambiant. Les slangs, la communication spécial réseaux, les expressions ethniques ou de groupes sociaux utilisés quotidiennement dans la vraie vie sont absents du catalogue (mais se trouvent dans les films et séries) et ont toutes les chances de vous reléguer en division deux sur le terrain ! la nouvelle langue, par exemple des termes utilisés hors de la sémantique d’origine en lien avec une émission populaire, ne peut ne pas être connue par un natif expatrié depuis de longues années!

Les « variants », ce sont les formes différentes de la grammaire et les accents difficiles à comprendre et à imiter. Pour l’anglais, par exemple, l’Inglish de l’Inde est à connaître (pays avec le plus grand nombre d’anglophones natifs au monde donc majoritaire…) de même pour ceux d’Australie, USA, Écosse… Fluent sur le beau papier du TOEFL mais une courge au Texa s! Il faut donc créer un fluent UK ou un fluent US

Le nombre de mots est un excellent critère, mais la capacité d’improvisation et d’usage de variants (vocabulaire slang, accents comme comprendre celui d’Australie ou du Texas) est donc de la partie!.​ Les aspects techniques d’une langue sont aussi à considérer. On parlera alors plutôt de proficiency. Exemple avec le mandarin ou être fluent à l’écrit est une autre paire de manches, et ce, déjà pour les chinois eux-mêmes !

Commentaire pertinent de Pamela H long sur le blog de Steve Kaufman :

Fluency means the amount of language coming out of your mouth (or pen), not the amount that helps you accomplish your communicative goals. Proficiency is a better term. It is a measure of the skills you have in each of the categories of reading, writing, speaking and listening, and it’s related to the task and the context.

  • La capacité à composer des phrases en mode improvisation (en direct)
  • La connaissance de l’interculturel, des variants et traverses en correspondance avec le terrain
  • Le nombre moyen de mots à connaître en fonction d’un objectif et besoin/usage réel dans la langue ciblée

avec Helen Doron: « How many words to be fluent in English »

You can get by in most basic situations with about 500-1000 words, but fluency also has to do with how well you use what you know. Both quantity AND quality are important. Good pronunciation and proper grammar count for a lot for, so a good basis in English language learning will carry you far.

‘Crawl’ level: 400-500 words, about 150 phrases. You can make yourself somewhat understood and understand slow speech. c’est le niveau européen A1


Mini level: 800-1000 words and 300 phrases. Now you can speak relatively well and unstrained, and can read newspapers and books with the aid of a dictionary. (c’est le niveau européen A2)


Midi level: 1500-2000 words and more than 300 phrases. What you need for day to day conversations. During the course of one day you need approximately this amount of vocabulary, and you can take part in serious discussions and understand what is being said at normal speed.(c’est le niveau européen B1)


3000-4000 words: Sufficient for reading newspapers and magazines fluently.  On commence ici à se définir comme « fluent » ou courant pour les plus optimistes.    

                                                                                                 
8000 words: All you ever need.

Exemple de corrélation de nombres de mots avec le cadre européen des langues

A1 = 500
A2 = 1,000
B1 = 2,000
B2 = 4,000
C1 = 8,000
C2 = 16,000

Le C1 et C2 sont considérés comme les véritables niveaux de la « upper fluency ». Les B1 et B2 sont de niveaux où l’apprenant est « indépendant », c’est-à-dire être autonome et en capacité de communiquer (une basic fluency en quelque sorte). C’est déjà un résultat honorable et utile qui permet, avec une immersion incontournable, d’accéder alors à la « fluency ». Ne pas brûler les étapes, donc et savoir se satisfaire de ce niveau sans complexe.

Notons que ces références sont étrangères aux résultats « abstraits » d’habituels tests de langues qui servent pour entrer dans certaines écoles ou universités…

3000 mots

semble être un bon chiffre à atteindre et est généralement reconnu comme une moyenne pour être « fluent junior ou basic ». Si l’on prend sa calculette, on s’aperçoit que 3000 mots : 365 jours = 8,2 mots par jour permet d’obtenir ce niveau en une année à raison de moins de dix mots nouveaux par jour. Êtes-vous capable d’apprendre 10 mots par jour ? Fort probable. Il n’y a donc pas de quoi s’en faire une montagne ou de s’effrayer devant un « gros dico »!

Un mémento du germaniste, par exemple, vous offre pour moins de dix euros le vocabulaire courant des 3000 mots pour parler allemand et classé par liste alphabétique et thématique et auquel s’ajoute toute la grammaire nécessaire et suffisante pour devenir germanophone.

Voir l’application de ce principe pour le chinois avec Caractères utiles en chinois  ou ce poster de 521 caractères qui permet de comprendre 75% de chinois en évitant d’en étudier 50000…

De plus certaines langues à combinaison comme l’allemand ou le chinois démultiplient le vocabulaire appris en raison de l’aspect « lego » des mots ou caractères. Principe qui existe dans une moindre mesure en français (abat-jour, tire-fesse…,) auquel on peut ajouter l’avantage des racines communes comme en langues romanes (amis, amici, amigos…) et les divers atouts d’une intercompréhension (langues slaves) qui sont aussi des facteurs réducteurs de travail et démultiplicateurs de savoir.

Un échange intéressant sur le nombre de mots en corrélation avec le cadre européen sur le forum de Language Learner

Si 3000 mots est un résultat à atteindre, c’est un nombre entier divisible ! 500 mots pour une première étape et des ajouts successifs programmés balisent un parcours efficient d’objectifs atteignables et raisonnables. La feuille de route du CECR européen est un excellent outil pour votre plan langue.

Un simple CC (carnet et crayon – copy carbon:-)) peut suffire avec le truc très simple  de surligner avec différentes couleurs (connus, pas sûrs…) tous les mots appris au fur et à mesure en utilisant un lexique de base trouvé à la fin d’un manuel, en librairie, sur le net ou construit à l’aide d’un logiciel flashcard.

De nombreuses applications en ligne permettent d’ajouter vos propres lexiques ou vous proposent des listes à thèmes. Vous pourrez ainsi gérer vos listes de mots utiles en créant même vos nouvelles entrées. Des logiciels actuels (autre que les antiques tableurs) automatisent ce travail en ajoutant l’audio (encore plus utile pour une langue comme le mandarin) et certains permettent même de choisir le délai de présentation du mot pour sa révision. Un des plus évolués est certainement learn with oliver mais moins ludique que Memrise ou WordDive. Avec Anki et un peu de mains dans le cambouis, on peut construire entièrement sa version perso et importer des lexiques pointus d’internautes. En famille, avec un jeu de société comme Memotep, est aussi une option sympathique à envisager pour accroître son vocabulaire.

Il est important d’avoir la capacité de les utiliser dans un contexte et avec spontanéité. Il ne s’agit pas seulement de savoir, mais de pouvoir parler. L’immersion et la pratique de l’écoute de vidéos pour se familiariser avec les accents et les vrais débits de parole sont indispensables (les cours vous habituent trop souvent à un rythme lent ou à du vocabulaire trop « choisi » qui ne correspondent pas à la vraie vie). C’est en fait la réelle marque d’une certaine « fluency », la compréhension et l’usage d’une langue « de la rue ». Des applications comme Yabla ou Easy languages sont très efficaces dans ce domaine !

Quel usage réel ?

Car apprendre des lexiques pour ne pas s’en servir est une perte d’énergie ou de temps. Comprendre l’anglais du football (soccer), c’est 100 mots pour devenir complétement fluent dans ce secteur. Voyager, rencontrer… avec 1000 mots, on peut le faire ! Une discussion philosophique toutefois sera plus complexe et nécessitera un vocabulaire plus riche ; mais s’agit-il de l’usage le plus fréquent d’une langue étrangère ?

Se concentrer sur un nombre restreint de mots permet de mieux les apprendre, plus vite et vous met en confiance ! Notons aussi que les vocabulaires « professionnels » sont souvent très  délimités et s’apprennent et se mémorisent très rapidement en raison de la fréquence d’usage et de la précision des mots. Le soi-disant anglais (ou tout autres langues) des affaires n’est qu’un mythe. Il s’agit d’un lexique limité et de phrases à usage fréquent et répétitif en entreprise (qui est de loin le plus simple à apprendre) auxquels on ajoute un glossaire pointu (médical, militaire…) fréquemment à racines gréco-latines ou anglo-normandes plutôt faciles pour un Français.

La fluency doit donc s’écrire au pluriel avec des objectifs divers à atteindre et des blocs Lego à empiler.

D’autres définitions existent comme l’ILR scale aux USA qui définit des niveaux professionnels en fonction de la capacité de réalisation d’activités.

Quelques liens pour approfondir le sujet :

Une réponse à « Combien de mots pour être « fluent »? »

  1. Avatar de Marc
    Marc

    Super article, concis et exhaustif.

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